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Le Lundi 28 mars 2011 à 21:41

Ni nucléaire ni gaz de schiste mais « une transition énergétique »


Thierry Salomon était jeudi à Montpellier pour présenter le scénario de l’association Négawatt visant à réduire la consommation énergétique française selon trois axes : sobriété, efficacité, énergies renouvelables. Et sans changement radical de notre mode de vie.

Thierry Salomon de l'association Négawatt le 24 mars 2011 au Corum de Montpellier à une réunion sur le gaz de schiste organisée par Europe écologie-Les Verts (photo : Xavier Malafosse)La catastrophe en cours au Japon conduit les médias à poser la question de la faisabilité de la sortie du nucléaire. Et pour y répondre ils découvrent – ou se rappellent – (1) l’existence de l’association Négawatt et de Thierry Salomon, son président. Mais pour l’Héraultais, le problème de l’énergie est bien plus large que la question du nucléaire. D’ailleurs, jeudi, il était l’invité d’Europe écologie-Les Verts au Corum de Montpellier pour une réunion sur le gaz de schiste. Présent pour présenter les alternatives à cette énergie fossile, il a prôné un changement de « paradigme énergétique » avec un scénario visant, d’ici 2050, à « construire une société sobre, efficace et renouvelable ». Sans pour autant revenir à la bougie ou clouer les avions au sol.

« Une vraie urgence »
« Si nous continuons sur cette voie, la vraie crise est devant nous »
, écrit l’association Négawatt en introduction de son scénario 2006. Jeudi, Thierry Salomon a listé les raisons, déjà bien connues, d’une « vraie urgence » à passer à « une transition énergétique » : l’effet de serre, l’épuisement des ressources (pétrole mais aussi uranium, gaz et, à plus long terme, charbon) et bien sûr les limites du nucléaire qui, selon une « vision multicritères » n’est bon, selon lui, que sur un seul critère sur vingt : la faible émission de CO2.

« C’est ahurissant de voir comment l’État français
avance sans aucune prospective énergétique sérieuse. »

Alors que faire ? « Il faut aborder tous les problèmes de front parce que c’est comme ça qu’on va résoudre la difficulté. Si on s’enferme uniquement dans la sortie du nucléaire, on n’y arrivera pas. C’est une vue globale qu’il faut avoir. ll y a un vrai échec de la prospective classique : c’est ahurissant de voir comment l’État français avance sans aucune prospective énergétique sérieuse. »

« Consommation débridée »
Premier pilier du scénario Négawatt : la sobriété. Et de pointer le « problème de consommation débridée » illustré notamment par l’augmentation de « 250 % en 30 ans sur les carburants routiers » sachant que « nos transports, c’est 98 % de carburant et seulement 2 % pour l’électricité » (trains, tramway, etc.). Autre exemple : les nouveaux écrans vidéos publicitaires installés dans le métro parisien qui consommeraient 7000 kWh par an soit la consommation électrique équivalente de deux familles pour l’éclairage et les équipements. « On peut s’en passer », lâche Thierry Salomon.

Il faut, pour l’ingénieur, « bien faire la distinction entre l’usage et la consommation énergétique ». Ce qui est important, c’est le « service énergétique ». Exemple : ce qui compte c’est d’y voir clair sur un plan de travail et pas nécessairement d’éclairer la pièce au même niveau. Le besoin c’est aussi se déplacer d’un point à un autre « avec un équipement adapté mais pas nécessairement avec une voiture qui va faire 20 fois ou 30 fois le poids de la personne transportée. » Ou encore : faut-il éclairer les zones industrielles ? Ou faire comme les supermarchés qui éclairent de plus en plus parce que « il y a des études marketing qui ont montré que si une pomme n’est pas complètement éclairée, le consommateur ne l’achète pas » ?

Trois réacteurs nucléaires pour enrichir l’uranium
Deuxième pilier du scénario : l’efficacité énergétique. Dans les processus de fabrication des produits (énergie grise). Mais aussi « l’efficacité adaptative » par exemple d’une maison solaire ou d’un véhicule hybride qui récupère l’énergie en descente. Ou encore celle des appareils ménagers, du système de production d’énergie dont les pertes sont très importantes : « Pour 100 kWh fournis, il faut au départ, sur des centrales thermiques, 400 kWh. » Par exemple, en France il y a trois réacteurs nucléaires  qui ne serviraient qu’à enrichir l’uranium qui sera ensuite utilisé comme combustible pour fabriquer de l’électricité dans les 58 réacteurs en service.

Autre gisement colossal : le chauffage des 16 millions de logements « construits avant toute réglementation énergétique et qui consomment de l’ordre de 300 kWh par m2 et par an voire beaucoup plus : une grande tour c’est 1000-1500. On sait faire, après rénovation poussée, des bâtiments qui peuvent consommer 80 kWh par m2 et par an. » Le bénéfice ne sera pas qu’énergétique et environnemental, il y aura aussi un impact sur le pouvoir d’achat des occupants et « souvent, sur certaines études, on montre que la différence de dépense va être à peu près égale aux charges d’emprunt nécessaire pour améliorer le bâtiment. Donc ce sont des choses qui peuvent se mettre en place toutes seules. Il n’y a pas besoin d’avoir des milliards d’euros de la part de l’État en terme de subventions pour que ça décolle. C’est plus un problème de volonté de mise en œuvre, de nouveaux métiers, de banque, etc. »

« Pas de science fiction »
Troisième pilier : le recours aux énergies renouvelables. Avec « une très forte croissance du grand éolien ». D’abord terrestre puis offshore et des éoliennes flottantes. « L’éolien peut arriver en 2050 à peu près à deux fois notre production hydraulique ». Et bien sûr, le photovoltaïque dont la production pourrait atteindre 65 milliards de kWh (TWh) en 2050 alors que le panneau photovoltaïque « va devenir un composant banal du bâtiment », affirme Thierry Salomon. Et enfin, la biomasse en cogénération (production d’électricité et de chaleur) peu développée par la France contrairement à l’Allemagne ou aux pays nordiques. Tout ça « avec les meilleures techniques aujourd’hui disponibles c’est-à-dire de ne pas faire de rupture technologique ou de science fiction. Vous ne verrez pas là-dedans la société de l’hydrogène, des satellites dans l’espace. Ou des gaz de schiste, bien sûr. »

Ces trois axes permettraient une sortie du nucléaire vers 2040, qui sera plutôt « une conséquence du scénario plutôt qu’un objectif ». Avec, dans un premier temps, une suppression des centrales les plus à risques (anciennes, situées sur une faille sismique, etc.) tout en conservant le nucléaire « pour assurer la transition ». Thierry Salomon insiste : « Face au nucléaire, n’ayons pas un regard religieux en disant « c’est horrible le nucléaire, etc. » On peut l’avoir mais ensuite ça ne passe pas, vous ne discutez plus. Nous, on veut discuter avec le gouvernement et les gens aujourd’hui qu’il faut convaincre. » De même, les carburants des déplacements sont conservés, « parce que c’est un scénario assez conservateur ». Pour le gaz, il est prévu une stabilisation, « la clé du scénario ». En effet, le gaz économisé sur le chauffage des logements rénovés serait utilisé pour les centrales au gaz qui permettraient « d’assurer la soudure le temps que les renouvelables montent en puissance ».

« Indépendance énergétique renforcée »
Conséquences : une consommation énergétique passant de 2800 TWh en 2005 à 1500 en 2050 et une division par quatre des émissions de CO2. Facteur quatre qui ne satisfait pas Thierry Salomon puisque pour le nouveau scénario prévu pour mi-2011, l’association « va essayer de travailler sur une division par cinq ou six parce que les problèmes climatiques sont tels qu’il faut sans doute passer à une société quasi non carbonée à l’échéance de 2050″. Autre avantage du scénario, « une indépendance énergétique renforcée » alors que la France dépend de ses importations à hauteur de « 99 % pour le pétrole, 98 % pour le gaz, 100 % sur le nucléaire. Il n’y a pas un gramme d’uranium qui est actuellement extrait des mines françaises. »

Évolution des ressources en énergies primaires entre le scénario tendanciel et le scénario négaWatt (en TWh) (source : association Négawatt)Autre atout du scénario : la création « d’emplois non délocalisables » avec un solde d’emploi annoncé, entre les emplois créés et ceux détruits (par exemple dans l’automobile), « de l’ordre de 700 000 sur 15 ans avec un baril à 80 $. Quand on est sur un baril à 100-120 $, on est plus proche du million d’emplois créés. »

« Des émissions qui expliquent ça aux Français »
Reste maintenant la question du maître d’œuvre d’un tel scénario. Interrogé dans l’émission Là bas si j’y suis sur France Inter (24/03, fin de la 11e partie), Thierry Salomon n’a pas répondu et s’est contenté d’appeler à un « débat national sur la transition énergétique » – pas un débat sur « la production » – et à une réflexion sur le chemin pour parvenir à un changement énergétique. L’ingénieur militant rêve « que, de façon pédagogique, le soir entre 21h et 22h, il y ait des émissions qui expliquent ça aux Français. À chaque fois qu’on le fait dans les interventions, les conférences, les gens sont passionnés parce que c’est leur vie. » Il est vrai que, jeudi, les 400 personnes présentes ont écouté la présentation de Thierry Salomon longue de 50 minutes dans un silence quasi religieux avant d’applaudir longuement. Mais le public n’était peut-être pas représentatif de la population française.

Reste quand même à savoir si, à l’occasion de la campagne présidentielle de 2012, le débat va gagner la sphère politique. À moins que, une fois l’émotion suscitée par l’accident de la centrale de Fukushima retombée, on poursuive sur des débats du type « identité nationale » ou laïcité.

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(1) Notamment suite à un article d’Hervé Kempf dans Le Monde daté du 16 mars : Peut-on sortir du nucléaire ?


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8 commentaire(s)

Suivre les commentaires de cet article

  1. psiam said
    on 29 mars 2011

    à 0 h 42 min

    joli travail de compte-rendu… de là à appeler cela du journalisme… j’attends avec impatience le compte-rendu du débat sur la laicité…
    en gros, vu la mise en perspective des infos, on se rapproche plus du travail de la gazette que de celui du canard enchainé…

  2. alain b said
    on 29 mars 2011

    à 22 h 41 min

    Une émission à voir absolument : http://www.dailymotion.com/video/xhvgjp_fukushima-le-pire-est-a-venir-y_news
    (les 20 premières minutes traitent du gaz de schiste)
    je me permets de mettre aussi le lien de l’émission de Mermet diffusée la veille de celle avec M. Salomon http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2139

  3. maj said
    on 30 mars 2011

    à 21 h 59 min

    Compte rendu ou journalisme, je m’en battrais les couilles si j’en avais… Ce qui compte pour moi c’est d’avoir lu l’essentiel de ce qui a été dit par Salomon ce soir-là, n’ayant hélas pas pu assister à la conférence.
    Merci donc à MJ d’avoir témoigner fidèlement de la présentation de ce scenario enthousiasmant.

  4. Henri said
    on 31 mars 2011

    à 17 h 35 min

    Très bon article!
    un grand merci pour ces infos qui ne passent pas dans les médias nationaux!

  5. psiam said
    on 4 avril 2011

    à 4 h 01 min

    genial, ca, on semble demander a MJ d’etre la session de rattrapage de ce qu’on-n’a-pas-eu-le-temps-de-voir. ben certes, mais a ce moment, MJ laisse le lien de l’emission de mermet, et c’est grosso modo la meme chose, les diagrammes en moins.
    moi, ce que je reproche a ce procédé, c’est que, mettons, allons, faisons un effort: on est en 1951, staline est au pouvoir, et le PC doit tourner (au moins) a 25% en france. mettons, aussi que MJ se soit declaré en 51 aussi coco qu’il se declare ecolo en 2011. mettons encore qu’il revienne, en 51, tout aureolé d’un voyage en URSS ou il aura pu avoir -grands dieux- un entretien avec le petit pere.
    et alors, pauvres dupes, sous pretexte de parti-pris ideologiques, vous allez applaudir des deux mains « l’info » que MJ aura ramené de moscou?

    une info valable ne se fait pas sans discordance des voix…. c’est la ou je pense que MJ ne fait plus du journalisme dans cet article…

    sinon, y’a de tres bons non-journalistes scientifiques a montpellier, a savoir le reseau « plume », et qui ne se prevalent pas de vous donner une info « unique-que-vous-n’auriez-pas-pu-avoir-ailleurs ».
    ce genre d’infos, il suffisait d’etre au corum pour la connaitre, ce qui n’est donc pas oeuvre de journalisme…

    au fait, y’a une conference a l’espace petrarque le 14 mai sur le tissage de soie en 1216 a montpellier… vous voulez que je vous ramene « l’info »?

  6. psiam said
    on 4 avril 2011

    à 4 h 17 min

    et puis tant qu’a faire… mettons que je sois aussi ecolo que vous, mettons…
    il fut moins d’un an et demi ou le futur president de region -bah oui, autant le dire, j’etais pro-freche, ce qui facilitera vos critiques a venir- promettait le TER a 1€ dans la region. MJ, comme d’autres se sont rués alors, arguant que c’etait irrealiste, et par voie (voix?) de SNCF, s’ont venus nous en remettre une couche….

    alors oui, entre salomon et freche, 2 poids deux mesures, deux « responsabilités » différentes… mais bon, quid de la realisibilité du plan du sieur salomon? tandis que, avec le poids de journalistes ecolos d’alors, il eut peut etre ete moins dur de faire pression sur la SNCF pour qu’elle « adhere »a au projet « frechiste ».

    franchement, qui, mais vraiment qui pour penser que le plan presenté par salomon peut etre applicable dans les prochaines années, alors qu’il m’eut semblé plus simple que celui de freche le fut?

    parce que, maintenant que tout le monde s’est bien gargarisé de la conférence du monsieur, qui pour transformer l’essai? MJ, le npa, melenchon? arf, arf…

    a ecolo, ecolo a demi…

  7. psiam said
    on 4 avril 2011

    à 4 h 34 min

    ah, au fait, en attendant qu’on trouve la 3e voie entre les energies fossiles et le nucleaire, dites-moi: quand vous faites bouillir de l’eau (par ex pour vos pates ou votrez thé), vous faites comment: plaques electriques, bouilloire ou gazinere? je dis ca j’dis rien, mais selon mes infos, on depense 2 fois moins d’energie avec la bouilloire qu’avec le gaz….. bah oui, les flammes, sous la casserole, elles chauffent pas que la casserole, elles chauffent.. l’air aussi.
    donc, vous preferez quoi -pour l’instant? refuser le nucleaire (donc grosso modo l’electricité) et continuer a perdre de l’energie avec votre gaziniere? ok, je veux bien le rapport de 1 a 4 de salomon sur la deperdition – et encore, c’est pas ce qu’on m’avait appris en terminale…. propagande?- mais bon, si vous voulez rester au gaz…. ben optez pour le gaz de schiste alors!!! arf arf…

  8. psiam said
    on 4 avril 2011

    à 4 h 44 min

    pour « mes »infos, vous verrez, ca date un peu -3ans- mais ca m’a pas l’air trop depassé vu l’enjeu des debats… et, ne serait-ce qu’une chose, que ce soit le gaz ou l’electricité, pour economiser l’energie, vous faites comment pour vos pates? vous mettez le sel dans l’eau froide ou attendez qu’elle soit prete a bouillir? j’dis ca j’dis rien, mais on peut en faire, des economies, et pas eulemnt pecunieres… moi, ca fait… 3 ans que je sais…
    vous verrez que le pseudo est quasiment le meme que psiam.. c’est que psiam etait deja pris chez yahoo… tout ca pour dire que c’est bien moi qui ai posé la question…

    http://fr.answers.yahoo.com/question/index;_ylt=AmZQ6YzMs260dx.MuA6rnFg5Agx.;_ylv=3?qid=20080515013005AAB9wmr